Le projet

La base de données « Une vie en Indochine » expose la collection photographique d’un couple de Français, Adrien et Delphine Noblot. Elle a été constituée en Indochine française dans les années 1920-1930. Adrien Noblot était gendarme. Avec son épouse, Delphine (née Dubois), il a passé la plus grande partie de sa vie en Indochine française, dont ils ont ramené une collection photographique d'environ 1250 images et un rapport sur la section de gendarmerie coloniale Cambodge-Cochinchine.
La collection photographique d’Adrien et Delphine Noblot a été confiée par leur famille en 2020 au laboratoire InVisu UAR3103 CNRS/INHA pour étude et mise à disposition des chercheurs.

Présentation du fonds

Boîte Ruines d'Angkor
Figure 3. Boîte Ruines d'Angkor
Album 02 "Phnom Penh"
Figure 4. Album à damier
Album 03 "brun"
Figure 5. Album brun

Le fonds se compose d’environ 1250 photographies disposées dans trois albums, un rapport dactylographié illustré de photographies et des vues stéréoscopiques sur plaques de verre.  Il ne comporte aucun négatif.
Tous les tirages ont été effectués au gélatino-bromure d'argent. Les vues stéréoscopiques ont été tirées sur plaques de verre, à l’exception d’une vue sur nitrate de cellulose. Parmi les tirages sur papier, 59 photos sont des cartes postales. On trouve les signatures et marques de 29 photographes sur les tirages papier.
Environ 450 photographies (tirages et plaques de verre) portent des légendes, ou sont accompagnées de légendes dans le cas du rapport.

Le fonds est dépourvu de documentation écrite. Le récit familial de cette vie indochinoise n’est pas continu. Tous les protagonistes sont décédés.

L’histoire de cette collection a été transmise par la fille d’Adrien et Delphine Noblot, Claudette, à ses enfants et petits-enfants. Mais ces éléments restent fragmentaires.
La grande majorité des photographies est dépourvue de légende, marque ou inscription. La documentation de la collection était nécessaire. Elle s'est appuyée majoritairement sur des sources en ligne.

Les albums

Au nombre de trois, ils construisent un récit globalement structuré par thèmes et chronologiquement signifiant sans être complètement cohérent. Les deux albums à damier présentent des photos datées en majorité des années 1928 à 1937.

J’ai intitulé le premier album « Les plages », car il débute par des photos balnéaires. Ses bornes chronologiques sont 1928-1934, malgré une photo d’Adrien dont la date estimée est 1904. La majorité des vues a été prise entre 1930 et 1932, les principaux sujets sont :

Le deuxième album, l’album « Phnom Penh », débute par des photos et des cartes postales de Phnom Penh, dont les bornes chronologiques sont environ 1928-1936. Les dates identifiées donnent une chronologie allant de 1928 à 1936 mais il n’est pas possible de dater avec certitude les cartes postales du Studio Nadal. Tout au plus est-il permis d’affirmer qu’elles ont été achetées à la même époque. Les principaux sujets des reportages de l’album « Phnom Penh » sont :

Le troisième album, l’album « Brun », couvre une vaste période chronologique,1923-1937. Mais l’essentiel des vues ont été prises entre 1932 et 1937. Toutes les pages de l’album ne sont pas utilisées et quelques photos n’ont pas été montées. Elles sont encore glissées entre deux pages. L’album Brun montre :

Aucun des reportages n’est totalement exhaustif, des doubles sont parfois collés dans deux albums différents, on retrouve le tirage papier d’une plaque de verre (vraisemblablement un contre-type). Des photos ont été extraites de leur reportage d’origine pour compléter d’autres ensembles.

Le rapport "Gendarmerie coloniale - Détachement Cochinchine Cambodge, détachement de Saïgon

Figure 6. Le rapport "Gendarmerie coloniale - Détachement Cochinchine-Cambodge, détachement de Saïgon"

La gendarmerie coloniale en Indochine à l’époque d’Adrien Noblot était organisée par deux décrets en 1911 ( Bulletin annoté des lois et décrets. 1911-1, p. 532 et JORF 21 octobre 1911).

Le décret du 20 octobre 1911 organise la gendarmerie en deux détachements :
-    Un détachement de l'Annam-Tonkin dont le chef-lieu fixé à Hanoï est à l'effectif de 140 militaires, dont un capitaine commandant le détachement.
-    Un détachement de Cochinchine-Cambodge dont le chef-lieu fixé à Saïgon : 140 militaires. Il est également commandé par le capitaine.
Adrien Noblot est promu sous-lieutenant commandant la section en 1929. Peut-être est-ce à l’occasion de cette réorganisation que le rapport a été commandé au sous-lieutenant Noblot. Il est en effet daté et signé du 1er octobre 1929.

Le rapport est le document le plus structuré de la collection, celui dont les photos sont le mieux légendées et contextualisées. Il présente les résultats d’une inspection menée dans des postes de gendarmerie de la circonscription de Cochinchine-Cambodge, la circonscription de rattachement d’Adrien Noblot. Il décrit les moyens, missions et activités de ces différents postes. De nombreuses photos complètent cet état des lieux.
Sauf inscription explicite sur les photos, j’ai daté l’ensemble à la date de restitution du rapport, c’est à dire 1929.

Le rapport est-il l’acte fondateur de la pratique photographique des Noblot ou de la constitution de leur collection ? En l’absence de documentation associée à ce fonds, il est difficile de l’affirmer. Pourtant certaines photos destinées au rapport ou initialement insérées dans le rapport sont venues enrichir les pages de l'album. Cette double affection est renseignée dans la base par le lien "est une partie de" et "photo en relation".

Les vues stéréoscopiques sur plaque de verre

Figure 7. Les cavaliers « L'arrivée du P. Doumer et du Jean Laborde », « Vues de Saïgon » de la boîte Vues de Cochinchine

Les 448 vues stéréoscopiques sur plaques de verre constituent un fonds hétérogène mais les thèmes représentés sur les plaques sont représentatifs du reste du fonds. En revanche, les temples d’Angkor, certains sites touristiques comme le Bokor (province de Kampot, Cambodge), Hatien (Hà Tiên, province de Kiên Giang, Việt Nam), Oudon (Cambodge), les chutes de Khône (Laos) ne figurent que sur les plaques. Aucune carte postale ni photographie ne représente ces sites dans les albums. De la même façon, l’intérieur familial à Saïgon n’est tiré que sur plaques de verre.
Les seuls éléments d’identification pour les plaques de verre, sont les étiquettes présentes sur sept des dix boîtes et des cavaliers en carton, intercalés entre les plaques. Les cavaliers reprennent le plus souvent le titre des boîtes.
Ces plaques de verre ont été déclassées avec le temps, car pour les visionner, il faut les sortir de leur boîte.
La publication en base de données redonne une certaine cohérence à ces images en s’affranchissant de la dispersion introduite par les visionnages successifs des plaques stéréoscopiques ou de la mise en récit des auteurs des albums.

Le projet documentaire

Le fonds a été numérisé intégralement ainsi que tous les éléments qui accompagnaient la collection et notamment les versos des tirages papier lorsque cela était possible. J'ai choisi de mettre à disposition tous les éléments de la collection et l'intégralité du fonds, en respectant sa réalité matérielle. La structuration de la base respecte l'organisation de la collection Noblot : par boîte de plaques de verre, par album puis par page et enfin par photo.

Le modèle de données, schéma descriptif des images, combine plusieurs ontologies du web sémantique : Dublin Core, VRA3, et FOAF.  La description du fonds a été initialisée sur l'application Tropy, outil gratuit et open source, parfaitement adaptée au traitement des images. En revanche Tropy ne permettant pas de publier les données, OmekaS a été choisi pour la mise en ligne et l'éditorialisation.

Comment lire une notice : le modèle de description

La description des images est assez sommaire :

- Titre du document (attribué) (vra:title) : lieu et sujet de la photo

- Inscription (dcterms:alternative) : transcription des inscriptions

- Nom du photographe (dcterms:creator)

- Date de prise de vue (dcterms:created)

- Lieu de prise de vue (vra:locationCreationSite) et Pays de prise de vue (dcterms:spatial) : en français et en vietnamien pour les toponymes vietnamiens

- Technique photographique (dcterms:type) : photographie positive

- Type de tirage (vra:material) : tirage sur papier, sur nitrate de cellulose, plaque de verre, carte postale

- Technique de prise de vue (vra:technique) : pour les vues stéréoscopiques

- Dimensions (vra:measurementsDimensions) : pour les pages et les plaques de verre

- Genre iconographique (dcterms:subject) : indexation thématique des photos par genre (voir l'index)

- Description (dcterms:description)

- Personnes représentées (foaf:isPrimaryTopicOf)

- Source icono et bibliographique (dcterms:bibliographicCitation) : référence bibliographique ayant permis de documenter la photo

- Est référencée par (dcterms:is ReferenceBy) : lien vers une source en ligne ayant permis de documenter la photo

- Photo en relation (dcterms:relation) : pour les ensembles dispersés dans les albums ou reclassés

- Est une version de (dcterms:isVersionOf) : pour les tirages multiples

- Est une partie de (dcterms:is part of) : lie une photo à la page du recueil (album ou rapport)

La question du vocabulaire de description ainsi que la définition du point de vue ont été l'objet de questionnements.

Les lieux de prise de vue sont renseignés au plus précis avec la ville, libellée par son nom français (voire le nom porté à l'époque coloniale) et son nom vietnamien actuel. La description des individus est problématique tant il est difficile de se prononcer sur les nationalités supposées des personnes représentées et en particulier, le cas des populations dites "Moï". Le terme "Moï" est particulièrement lourd de connotations et pourtant, il est associé à un genre photographique spécifique qui dépasse la simple représentation de populations pittoresques. Aussi ont été écartés les descripteurs : « proto-indochinois », « montagnards » (car tous ne vivent pas en altitude) ou « pemsien  » postérieur à la période de la collection. Ils sont certainement plus respectueux des populations représentées mais évacuent le sens de la photo ou du moins le genre iconographique dans lequel s'inscrivent ces photos.

Les échecs d’identification ou d’interprétation sont libellés par une valeur de champ « non identifié » le sujet représenté ou le nom de photographe et "Indochine française" pour les lieux.

Adrien Noblot est le sujet de beaucoup de prises de vues, mais n’apparaît jamais avec du matériel photographique à la main. Il n’y a aucun négatif dans la collection qui nous a été confiée. Son aptitude photographique est rapportée par le récit familial construit par sa fille Claudette mais nul ne connaît l’origine de son goût pour la photographie. Le seul matériel conservé par la famille est un stéréoscope en bois pour visionner les plaques. Il n’est donc pas possible d’affirmer que toutes les photographies dépourvues de mention sont de la main d’Adrien Noblot.

Les photos de la collection construisent un récit cohérent donnant à voir la vie d’un couple de Français en Indochine. Elles reflètent la vie de la famille Noblot, leur sociabilité, les loisirs et bien sûr la gendarmerie coloniale, l’activité professionnelle d’Adrien Noblot.
Cette appréciation de la collection, sur la base des documents qui nous ont été confiés, est conclusive. Elle est apparue une fois les photographies identifiées une à une.