Histoire de la collection
L'identification et la datation des photos achevées, il est devenu possible de porter un autre regard sur la collection par le prisme de la base de données. Le croisement de l'histoire personnelle des collectionneurs et des éléments portés par les photographies apporte des éléments pour retracer l’histoire de cette collection photographique.
Histoire d’Adrien Noblot (1885-1942)
Sa fiche matricule conservée aux Archives départementales des Bouches-du-Rhône nous renseigne sur sa carrière militaire et les circonstances de son arrivée en Indochine. La plus ancienne photographie d’Adrien semble être la première photo de la page 21 de l’Album 1 « Les plages », peut-être prise avant son départ pour l’Indochine comme engagé volontaire en 1904.
Deux autres photos le montrent en 1906 à la caserne de Saïgon et en 1923 dans un lieu non identifié.
Adrien Noblot est cité régulièrement dans la presse coloniale indochinoise à partir de 1929, date de sa nomination au grade de lieutenant de gendarmerie. C’est aussi la date de son rapport sur la section de gendarmerie Cochinchine-Cambodge (Rapport de gendarmerie coloniale Cochinchine-Cambodge, p. 81 (op.cit).
- 1929 : Nommé lieutenant au Cambodge, il prend le commandement de l’arrondissement de gendarmerie de Saïgon (L’Avenir du Tonkin, 31 juillet 1929)
- 1933 : Promotion au grade de Chevalier de la Légion d’honneur du lieutenant Noblot, « si sympathiquement connu tant dans les milieux européens que dans les milieux indigènes. Cette juste récompense se passe de commentaires et nous adressons au nouveau promu nos plus vives félicitations » (L’Avenir du Tonkin, 18 mars 1933)
- 1936 : M. le lieutenant Noblot du détachement de Cochinchine-Cambodge est promu capitaine (L’Avenir du Tonkin, 27 juin 1936)
- 1937 : « Le capitaine de gendarmerie Noblot va nous quitter définitivement d’ici peu. Il s’embarquera, avec Mme Noblot, sur le « Président Doumer » le 18 courant. Le capitaine Noblot est demeuré 28 ans dans ce pays, dont 25 ans dans la gendarmerie. C’est une vieille figure cochinchinoise qui va nous quitter. Son départ sera vivement regretté ». L’Avenir du Tonkin, 05 juillet 1937.
Sa fiche matricule parachève ce curriculum, il est renvoyé dans ses foyers le 25 avril 1939.
A l’exception des photos de 1906 et 1923, les premières vues de la collection que l’on puisse dater avec certitude sont celles des funérailles du roi Sisowath du Cambodge en mars 1928 et le couronnement de son fils et successeur Monivong en juillet 1928.
Il s’agit vraisemblablement du point de départ de la collection des Noblot : documenter leur vie en Indochine, illustrée par des photographies mises en récit dans les albums ou compilées dans les boîtes pour les plaques de verre. A moins que le rapport sur la gendarmerie en ait été l’acte déclencheur.
L’album 2 "Phnom Penh" pourrait être l’œuvre d’Adrien Noblot. Quelques photos du rapport ont été sorties pour être insérées dans l’album 2 « Phnom Penh », ce qui accréditerait l’idée que cet album était celui d’Adrien.
L’album 2 "Phnom Penh" comporte beaucoup de vues documentaires de l’Indochine, des photos de chasse, de gendarmerie et très peu de photos de famille. Il est difficile de dater précisément le reportage sur les Moïs. La production de cartes postales de Fernand Nadal débute dans les années 1920. Certaines continuent de voyager après 1954.
Le deuxième album à damier, serait alors peut-être celui de Delphine Noblot, plus représentatif de la vie quotidienne d’expatriés aux colonies et surtout de celle d’une mère de famille.
Les photos de Delphine Noblot, l’album des Plages et l’album Brun
Adrien a rencontré Delphine Dubois (1898-1945) au cours d’une visite effectuée pendant ses congés à Vonnas dans l’Ain, dont est originaire Delphine. Elle était couturière. Ils se sont mariés dans cette ville en 1919 (Archives départementales de l’Ain, mariages de l’année 1919 à Vonnas). Leur fille unique Claudette (1920-2013) est née à Cantho, Cochinchine (Cần Thơ, province de Cần Thơ, Việt Nam).
Delphine est la personne la plus représentée sur les photos de la collection familiale. Elle était titulaire du permis de conduire. De très nombreuses photos peuvent lui être attribuées, notamment celles de sa fille Claudette, beaucoup d’excursions et les scènes de plage.
Lors d'excursions collectives, Delphine Noblot, pour être présente sur la photo, a parfois confié l’appareil photo à Claudette. L’excursion à Ba Lua (près de Thudaumot, Thủ Dầu Một, province de Binh Duong, Việt Nam) avec M. Dasseux et un couple non identifié en mai 1930, illustre bien cette complicité photographique entre la mère et la fille. Sur la photo de gauche, on aperçoit l’ombre de Delphine et son petit chapeau cloche, tenant un appareil équipé d’une chambre de visée à miroir fixe, de type Rolleiflex. Claudette la remplace sur la photo de droite. Les adultes se sont assis pour être à sa hauteur.
Il est tentant de créditer Delphine pour la constitution de l’album 1 « Les plages ». La part de la vie sociale et familiale y est prédominante. Cependant l’album des plages est aussi celui qui se clôt par le reportage sur la répression de l’insurrection de juin 1930.
Quant à l’album « Brun », il est inachevé. Plusieurs pages sont vides et certains tirages ne sont pas fixés sur les pages. Est-ce l’ultime album de la collection ? Est-ce la mort prématurée de Delphine et Adrien qui laissa l’album en l’état ?
Interroger les albums et tenter d’associer un auteur ou une autrice à un album, pose également la question de la date de réalisation des albums, car les reportages ne se suivent pas toujours chronologiquement. L’identification des individus est aléatoire sans que l’on sache si les noms ne sont pas connus ou oubliés.
Les légendes des photos de l’album 1 « Les Plages », page 11, mêlent des lieux (Qui Nhon, An Khé, Kontum), des dates (19 et 20 octobre 1930) et une fonction « directeur de la jumenterie de An Khé, Qui Nhon ». Les photos montrent une maison, celle du directeur, et une famille dont on ignore le nom.
Cette citation fonctionnelle accréditerait l’hypothèse d’une mise en récit après le retour en France, ou plus tardive encore, par Claudette Noblot.
Une autre figure anonyme est omniprésente dans la collection. Elle apparaît dans presque tous les reportages. Et en particulier sur la plage du Cap Saint-Jacques une photo montre, un appareil photo à la main, René Blachère.
Le nom de René Blachère n’est inscrit sur aucune photo. Il m’a été donné par les descendants d’Adrien et Delphine Noblot. Les mentions de René Blachère dans les annuaires et bulletins administratifs de l’Indochine recoupent le récit des photos.
Les Blachère
René Blachère, son épouse Paule d’Ornano et leur fille Geneviève, sont des figures incontournables de la collection. Ils sont presque aussi souvent représentés sur les photos que les Noblot, sauf René Blachère, deux fois moins présent qu’Adrien Noblot. S’il est difficile de se prononcer sur la pratique photographique d’Adrien Noblot, trois photos en revanche montrent René Blachère muni d'un appareil photographique. Les Blachère apparaissent sur les photos des Noblot à partir de 1929, lorsqu’Adrien est affecté en Cochinchine. Ils sont présents dans nombre de reportages : les plages, la chasse, le Cambodge (Angkor, Phnom Penh), Dalat etc., jusqu’à Vonnas en France.
Le capitaine René Blachère (1893-1985) est un officier de gendarmerie coloniale. Incorporé en 1911, il poursuit une carrière militaire qui le mène en Indochine en 1926, qu’il quitte comme les Noblot, en 1937. Sa fiche matricule est publiée par les Archives départementales du Vaucluse.
Initialement affecté à Hanoï, il devient commandant de la section de gendarmerie Cochinchine-Cambodge en 1929. Il a effectué plusieurs missions à Nui-Bara, dont il a ramené le corps du maréchal des logis Auguste Morère qui avait créé ce poste de gendarmerie.
En 1932, il est en mission à Khone à la frontière du Laos et du Cambodge. Paule Blachère pose sur les rochers des chutes de Khone et sur la majorité des plaques de verre prises à Angkor.
Attributions des plaques de verre
Si les photos tirées sur papier et les cartes postales mentionnent 29 photographes, les plaques de verre sont plus difficiles à créditer. Les vues de Mme Paule Blachère prises à Angkor ont très vraisemblablement été prises par son mari René Blachère, car ni Adrien, ni Delphine Noblot ne sont présents sur aucune des vues d’Angkor. J’ai également attribué à René Blachère les vues de Preah Vihear pour les mêmes raisons. Le fronton de Banteay Srei déposé sur la photo boite_angkor_07 est conservé au Musée Guimet depuis 1936. J’ai donc daté les plaques de 1935.
Quant aux premières vues stéréoscopiques, elles semblent apparaître dans la collection au milieu des années 1930.
Claudette Noblot est très peu représentée sur ces plaques alors qu’elle est le sujet dominant des représentations familiales. Adrien et Delphine sont souvent sur des vues de Saïgon et Phnom Penh où ils sont seuls posant sur des vues plutôt mal cadrées.
Pour les vues méthodiques de l’intérieur de l’appartement, d’Adrien à son bureau, les Noblot ont privilégié ce type de photographie. Etait-ce le dernier voyage, celui du retour définitif en France ? Ont-ils souhaité, pour terminer leur collection, donner les vues les plus spectaculaires de leur vie indochinoise ?
Ou ont-ils emprunté la chambre de René Blachère ? Il est difficile de l’affirmer car ni René Blachère, ni Adrien Noblot ne sont présents sur les vues de Vonnas qui semblent clore la collection.
Une série au moins semble provenir d’un photographe professionnel, celle sur l’exposition universelle de Paris en 1937.
Il est très probable que les vues stéréoscopiques des rizières, des vues d’intérieur du Palais Royal de Phnom Penh aient été achetées également auprès de photographes professionnels.
Les plaques étant dépourvues de signatures, il est difficile d’en connaître les auteurs. La collection Noblot pourrait peut-être apporter un élément nouveau sur la production de Fernand Nadal.
Les vues stéréoscopiques de Fernand Nadal
Fernand Nadal, autre personnage central de la collection Noblot, est un photographe et un éditeur de cartes postales très important en Indochine française dans les années 1920-1930. Bien que centrée essentiellement sur la Cochinchine, l’Annam et le Cambodge, sa production photographique est pléthorique et précieuse pour identifier et localiser les photographies de la collection Noblot. Les marques et légendes des tirages photographiques sur papier dans les albums nous indiquent qu’Adrien Noblot a acheté ou obtenu un très grand nombre de photographies auprès de photographes professionnels, et notamment auprès de Nadal.
En revanche l’homme, Fernand Nadal, est très mal connu et à ce jour, aucune source le concernant ne fait état de plaques de verre. Pourtant la ressemblance entre trois vues stéréoscopiques de la collection Noblot et ses cartes postales est frappante.
Cette récurrence des photographies de Fernand Nadal, mais aussi de nombreux photographes très actifs en Indochine, ainsi que la collecte des plaques de verre semblent confirmer les enjeux documentaires qui ont guidé Delphine et Adrien Noblot lorsqu'ils ont constitué leur collection, pour se souvenir et partager une vision d'un ailleurs auquel peu de gens avaient accès.
Il ne faudrait toutefois pas en conclure que l’œuvre documentaire des Noblot manque d’originalité. En effet, les fonctions d’officier de gendarmerie d'Adrien Noblot, son réseau professionnel, peuvent être à l’origine de prises de vues plus originales.